Vexille

Publié le par Guillaume Vanneste

Japon, 2007

Titre original : Bekushiru: 2007 Nihon sakoku

Réalisé par : Fumihiko Sori

Genre : Action, animation, science-fiction


Synopsis - En 2067, le Japon décrète l'isolation totale du pays, et se coupe du reste du monde pour perfectionner dans le plus grand secret ses recherches en robotique. 10 ans plus tard, les États-Unis craignent que le Japon ne développe des technologies armées qui mettraient en péril l'humanité. L'agent Vexille et son unité d'élite sont chargées d'infiltrer le pays.

Critique - Arrivé timidement en France, Vexille est pourtant un phénomène déjà célèbre au Japon, terre d'animation futuriste par excellence. Et pour cause : son réalisateur, Fumihiko Sori, a produit Appleseed, écrit par Masamune Shirow, lui-même plus connu pour la saga Ghost In The Shell

Techniquement, le film bénéficie de ce qui se fait de mieux à l'heure actuelle en matière de traitement numérique. Les images sont à couper le souffle, d'une précision remarquable, largement aidées par une gestion très poussée de la lumière et des ombres. Ainsi les décors gigantesques, qui surprennent tantôt par leur fourmillement de détails, tantôt par leur inquiétant épurement, créent, ou plutôt recréent des mondes qui se veulent imaginaires et semblent pourtant si familiers.

Et c'est là une des difficultés majeures du cinéma d'anticipation : comment créer un univers assez différent du nôtre pour marquer l'évolution, tout en conservant les repères nécessaires à sa crédibilité ? Pour relever ce défi, Vexille s'appuie sur un scénario solide, dont les échos historiques interrogent. Nous y reviendrons.

Bien entendu, l'action dans Vexille est au premier plan, happant le spectateur sans crier gare. Le rythme est particulièrement bien géré par l'alternance de scènes dynamiques et de scènes de dialogue. L'époustouflante fluidité du dessin offre une dimension puissante à un scénario exigeant. Cette réussite ne doit rien au hasard : Sori avait déjà eu l'occasion de se frotter aux effets numériques à grande échelle, en se faisant la main sur le Titanic de James Cameron. Seul bémol : une légère rigidité frappe les personnages, dont certains détails (cheveux, postures) révèlent la permanence d'une animation « à l'ancienne ».

Le choc esthétique ne serait pas aussi rude sans un accompagnement sonore admirable. Chaque bruit, chaque cliquetis de machine, chaque écho ou murmure est reproduit avec tant de réalisme qu'il suffit de fermer les yeux pour oublier qu'il s'agit d'animation. Quand à la bande musicale, la diversité et la profondeur des morceaux proposés par Paul Oakenfold (qui a collaboré à Appleseed, ou encore The Matric Reloaded) font l'objet d'un traitement soigné et offrent à Vexille une texture sonore proche de la perfection.

Au final, les fans d'animation futuriste ne seront déçus que par le faible engouement des sociétés françaises de diffusion, et risquent d'avoir à se rabattre sur la sortie DVD ou Blu-ray. Un véritable crève-cœur face à l'émotion ressentie sur grand écran.

Échos historiques - Le scénario d'isolation du Japon n'est pas un hasard, ni vraiment de la science-fiction. Rendu naturel par le caractère insulaire du Japon, l'isolement est une réalité historique qui a construit le Japon dans un rapport particulier au monde et à l'étranger. Il faut remonter au début du XVIIe siècle, période à laquelle des missionnaires chrétiens venus d'Europe déclenchèrent des réactions de crainte d'une ingérence occidentale. En 1639, le Japon se coupe presque totalement du reste du monde. Il faudra attendre plus de 200 ans, et l'intervention armée américaine de 1854, pour forcer le pays à s'ouvrir. Il n'est pas surprenant que dans Vexille la percée dans un Japon mué en forteresse inexpugnable soit tentée par les États-Unis...

Mais le parallèle historique ne s'arrête pas là. L'ouverture du Japon au monde lui permit une croissance démesurée dans tous les domaines, qui fera vite apparaitre des vues sur les territoires voisins. Le Japon s'engage au début du XXe siècle dans un expansionnisme militaire qui le conduira même à affronter la toute-puissante américaine. La course à l'armement menée pendant cette époque ressemble à s'y tromper à la robotisation accélérée du Japon de Vexille. Sans oublier que la cible principale n'a pas changé : d'après les plans de Saïto, le dirigeant de la toute puissante firme de robotique Daiwa, les États-Unis seront les premiers à subir l'invasion des machines nippones.

Si Vexille puise allégrement dans l'histoire du Japon, en particulier ses périodes les plus sombres, le film a-t-il vocation à nous éclairer sur un potentiel avenir ? Nous n'oublions pas, en effet, que tout film d'anticipation repose sur une projection plus ou moins avouée, plus ou moins souhaitée, de notre monde dans un à-venir. La constitution japonaise de 1947, établie sous la tutelle américaine, pose le principe de la renonciation à la guerre. En d'autres termes, le Japon renonce à son droit de belligérance, et les forces armées qu'il entretient ne peuvent servir qu'à sa défense. Et c'est justement parce que chacun sait qu'un Japon dominant le monde par la puissance de son armée et de ses technologies militaires est aujourd'hui impossible que de tels scenarii naissant dans l'esprit fertile des créateurs d'animation. Les barrières de la réalité sautent avec une telle aisance dans l'imaginaire que le résultat ne peut être que démesuré. Frustration et prohibition n'ont jamais guidé que vers le déchainement des violences par d'autres moyens. Parce qu'un Saïto ne pourra pas conquérir notre monde, il lui est donné totale liberté d'asservir les peuples, pourvu que l'on ne sorte pas de l'imaginaire. Encore une fois, il n'y a pas ici de hasard : quoi de mieux que l'animation, genre par excellence du non-réel, pour donner corps à ce qui n'existe pas ?

Regards philosophiques - Deux questions majeures se dégagent de Vexille : « la fin justifie-t-elle les moyens ? », et « jusqu'où l'homme est-il prêt à aller dans la négation de lui-même ? ».

Depuis Machiavel, on se plait à croire que la fin justifie les moyens. Mais encore faut-il pour cela agir rationnellement. D'apparence, Vexille suit un cheminement scénaristique très rationnel, et on serait tenté d'attribuer à Saito le qualificatif de « machiavélique ». En effet, il a un projet d'envergure, que l'on peut considérer comme une fin (ce mot n'est pas trop fort, quand on sait le sort qu'il réserve à l'humanité), et a déjà planifié les différentes étapes qui doivent conduire à sa réalisation. En d'autres termes, Saito a assimilé l'idée que la fin justifie les moyens. Mais l'on ne saurait se satisfaire d'une telle situation, qui en réalité ne sied qu'à Saito, et nuit à tout le reste de la population, à de rares opportunistes près. Les funestes projets du dirigeant de Daiwa suscitent la colère chez certains, le désespoir chez d'autres, et constituent un véritable problème moral. Comment Saito peut-il justifier des moyens condamnables au profit d'une fin égoïste ? Si le machiavélisme du personnage tient sa logique, en revanche il s'émiette rapidement sur le plan moral. Saito est bien loin d'agir en fonction de ce que Kant appelle un impératif catégorique. Il est hors de toute morale, et sans morale sa justification des moyens ne tient plus. En réalité, Saito vit dans un monde illusoire où les moyens immoraux servent une fin immorale. En s'enfermant dans l'immoralité, il fait perdre tout sens à sa quête de pouvoir, et devient complètement irrationnel. La conclusion est immédiate : Vexille est à voir comme un appel à la retenue des ambitions, ou plutôt à la canalisation des ambitions vers une finalité rationnelle, morale et collective.

Tout film mettant en scène le progrès technologique lié aux avancées de la robotique amène souvent des interrogations sur la place, le rôle et le devenir de l'homme. Sans entrer dans les détails d'une confrontation entre l'homme et la machine (qui n'est finalement pas le thème exact de Vexille), on se rend vite compte que Vexille offre un regard plus singulier : celui de la perte de l'homme dans la machine. Plus précisément, dans le film, les hommes deviennent progressivement des êtres bio-mécaniques, des androïdes faits de chair et de métal, et finissent pas ne plus avoir d'humain que l'apparence. Pour réussir dans leur quête de pouvoir absolu, les meneurs du projet de Daiwa doivent renoncer à leur humanité pour se perdre complètement dans la robotisation de leur être. Si l'animation japonaise a fait de cette mutation une inépuisable source de violence visuelle, Vexille étonne ici par une sobriété rare. Mais les réponses sautent aux yeux. Saito – le spectateur s'en rend compte rapidement – a cédé son humanité aux sirènes de la robotique et de la vie éternelle (il n'est pas peu contradictoire de penser accéder à l'immortalité par le biais des machines). Une telle déshumanisation n'a rien de rationnel , elle est contraire à l'instinct de survie de l'homme, au respect de son intégrité physique. Mais concernant Saito, cela n'a rien de très surprenant : nous avons déjà vu que Saito avait un comportement irrationnel. La solution est là : il faut avoir renié la raison pour se perdre dans un corps de métal. Et le film révélera que tous n'en sont pas capables. Certains restent, contre toute attente, profondément humains.

 

Publié dans Animation

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